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Un mois d’avril, bientôt mai

Encore et encore – un élément blanc de porcelaine – un refrain qui voyage, de couloirs en couloirs – l’hôpital, l’odeur et quelques images abstraites sur des murs pelés.

Un mois d’avril, bientôt mai.

Il n’y a pas d’autre façon de partir qu’un simple hochement d’épaule. Une fois pour un oui, une fois pour un non. Tout est là, dans le non-sens d’une question sans réponse. Comment vas-tu dans ce lit mortuaire ? La moitié du corps en voyage. Le souffle de la mort empoisonne le peu de vie qu’il te reste. Tu n’as jamais été aussi sacré qu’à cet instant où tu t’effondres.

Le soleil te force à plisser les yeux. On dirait que tu portes un ilgaak, ces lunettes de neige inuits en os de caribou. De ton regard magnétique, il ne reste à cet instant que deux traits fins qui laissent à peine passer la lumière. Tu la retiens cette lumière, pour qu’elle ne t’échappe et que tu puisses briller fort à l’intérieur.

Beaucoup d’efforts, une vie de quête.

Les appareils qui respirent – pompes artificielles sombres, essentielles pour souffrir.

Un centre sombre, un cœur noir, comme un morceau de charbon, du noir de fumée qui se broie et qui coule d’encre sur la lumière de papier. Tout autour de lui, encerclé, les pétales d’un lotus sacré montent la garde. Et puis, il y a cette voix d'outre-tombe, celle d’un père en voyage de l'autre côté, qui voyage ailleurs, un autre ailleurs, un ailleurs proche d'où s'échappe cette autre voie, qui résonne et qui montre une direction, un chemin.

Le voyage du silence, magnifique présence bien à l'abri dans l'absence.

J’ai choisi de porter ta croix, de bois et de noblesse, sans fioritures comme toi, sans garniture mystique, du simple bois. Ils ont sellé ton cercueil comme pour t’empêcher de revenir, à la cire chaude, rouge vive.

Il a fallu que tu partes pour que je sente le parfum de ton âme.

Ta canne est peinte de coquelicots et de fleurs exotiques. Du rose et du bleu, du vert et beaucoup de rouge sur un fond sombre comme ta mémoire. Une longue canne en bois précieux avec un pommeau de vigne. Elle sent encore l’huile, la térébenthine et le vernis, toutes ces odeurs qui imprègnent ton atelier de peintre.

La couronne est d’or et de poussière. Elle orne ta tête depuis ton départ – un air royal, de la sainteté peut-être !?!

Les fruits pourrissent et tombent dans la gueule du tigre – Mahamrityunjaya. Juste un arbre mort perché.

La tête s’envole, mais le coeur garde la mémoire. Les os blanchissent par manque de lumière. Je regarde le vent du large aspirer tes cendres. Un nuage de toi s’envole vers la plage, un autre se noie dans le bleu de l’océan. Tu es partout et nulle part à présent. La surprise d’une pointe de flèche qui se plante dans la vie. J'ai cette photo de toi, tu es jeune, une chemise blanche à la sortie de l’enfance. La mèche rebelle, un léger sourire au coin des lèvres.

Père, tu ressembles à mon fils.

En guise d’adieux, nos deux fronts en communion, chacun de son côté du monde, chacun dans sa temporalité. Ensemble séparément.

Les petites choses de la vie ont le pouvoir d’êtres immense. Sur le rebord de la fenêtre glaciale, un verre et ta paire de lunettes. Nous aimions écouter John Lennon ensemble. C’est moi qui t’avais annoncé sa mort, un soir d’adolescence.

Toutes ces années où je n’ai fait que t’effleurer... As-tu souffert de mon absence ? Les plus belles questions sont celles qui restent sans réponse. Elles ont le pouvoir de créer des mondes imaginaires.

Un mois d’avril, bientôt mai… Bientôt mai.

— 21 avril 2022