BRUNO LEYVALÀ propos Journal Notes Boutique
Le Charlatan Sacré
Je ne suis rien, invisible parmi les invisibles, en coulisses du spectacle, j’accompagne Le Charlatan dans sa quête mystique. De ville en ville, de siècle en siècle, passé, présent et futur se mélangent, sur la route désertique, il cherche l’illumination – sûrement la rédemption, il cherche à devenir un homme bon et immortel.
Le Charlatan est un marchand ambulant, un imposteur céleste, un arracheur de dents. Il propose des produits miracles, des élixirs à base de jus de serpent, soi-disant, des potions divines ou des drogues hallucinatoires… Avec la facilité d’un discours fleuri, une bonne dose de facéties, il invite la foule à des orgies métaphysiques. Au centre du village, perché sur une vieille caisse en bois, devant sa roulotte rouge et or, il inonde de breuvages. C’est un petit bonhomme pathétique et grassouillet, mais qui dégage une aura flamboyante. Costume clair élimé jusqu’à la corde, chapeau haut de forme, un moineau endormi sur la tête, il sourit à pleines dents et regarde le ciel comme s’il attendait un signe, un top départ.
Ils sont tous là : aveugles et nains manchots, femme à barbe et cul-de-jatte, siamois et siamoises, idiots du village, prescripteur et homme de loi, curé au abois. Face à cet attroupement, je ne peux m’empêcher de penser aux paroles de cet ancien clown alcoolique qu’était Capotino, personnage haut en couleur qui nous accompagnait sur la route des champs, il y a bien longtemps : « Regarde mon ami, ils recherchent l’invisible dans ce qu’ils voient ! ».
Capotino était le fils d’un chaman mexicain, assassiné par un producteur de sorgho, un soir de beuverie magistrale. Il avait reçu 22 coups de couteaux comme autant d’arcanes majeures du tarot de Marseille. La Justice (arcane VIII) fut le dernier porté à la poitrine, coup mortel qui lui éclata le cœur comme un vieux pneu. Capotino avait 8 ans ce jour-là, justement.
Tout n’est que tricherie, effet placebo sur âmes en peine. Je le sais puisque c’est moi qui remplis les flacons, à base d’huile d’olive essentiellement, en référence au discours du Mont des Olivier de l’Ancien Testament que Le Charlatan affectionnait tant. Je ne sais pas s’il croit aux vertus de ses produits, je pense que oui. Ce n’est que de l’huile d’olive… Juste de l’huile et du sacré… Peut-être !?!
Nous sommes prêts pour le spectacle médicinal, les bouteilles sont étalées sur la petite table en bois, bien alignées en ordre croissant. Le soleil les transperce et la lumière ocre se disperse sur le plateau en chêne sculpté. Deux petites têtes de bois autour d’un cercle avec au centre Ouroboros, le serpent mythique qui se mord la queue. La tête de droite, ronde et simpliste, presque enfantine, fait la grimace tandis que celle de gauche, plus détaillée et réaliste, est plus sombre et intrigante. Je n’ai jamais posé la question au Charlatan sur la signification de ces deux personnages. Je le ferai très prochainement.
Capotino a laissé quelques affaires avant de partir. Une écharpe tibétaine, une paire de lunettes et son dentier supérieur. Je les conserve précieusement dans un petit sac en toile de jute brun clair, comme les reliques d’un maître bouddhiste dont j’attendrais la réincarnation. J’espère qu’un jour un enfant les reconnaîtra. Je doute que le dentier lui aille, que les lunettes corrigent sa vue, mais l’écharpe aura certainement son utilité.
Des oiseaux en migration passent au-dessus de nous. Ils forment un V qui ressemble fortement à une équerre maçonnique. Une énorme fiente atterrit sur le plateau de bois sculpté, en plein au centre du cercle. Ouroboros est peint d’un blanc jaunâtre. Le Charlatan y voit un signe pour commencer et s’avance vers l’assemblé. J’attends un instant, espérant apercevoir le compas dans le ciel. Sa voix s’élève.
« On m’a méprisé, on m’a puni, on m’a maltraité… Mais je suis là devant vous, éternel parmi les éternels, et je suis là pour vous, pour vous aidez, pour vous guérir ! »
La foule finit par adhérer au discours. Les ventes furent bonnes. Aucun compas maçonnique n’est apparu dans le ciel.
Le désert est un endroit propice pour observer des plantes en lévitation.
Le problème avec les mythes, c’est que l’on finit par y croire.
— 11 octobre 2024